Étiquettes
Cracher sur les putes et les chiens, déprime alcoolico-nippone, Des questions existentielles de bistro qu'elles sont bonnes, Japon, N'importe comment, N'importe où, Nimporte quoi, Tokyo, Trolololololooooo
Et parfois, c’est la déprime qui guette, et puis c’est tout.
Comment ça, la déprime au pays du soleil levant ? Des mangasses, des filles en jupes, des konbinis, des ninjas, de… Ta gueule. Ouais.
Comme face à la mort, on réagit au Japon avec un ensemble de phases…Je rappelle, à l’intention des gens qui n’ont que le BEPC ou un diplôme d’université japonaise, de quoi je parle :
- Choc, déni (d’Halicarnasse, de grossesse, etc) : cette courte phase du deuil survient lorsqu’on apprend la perte. La personne refuse d’y croire. C’est une période plus ou moins intense où les émotions semblent pratiquement absentes. La personne affectée peut s’évanouir et peut même vomir sans en être consciente. C’est en quittant ce court stade du deuil que la réalité de la perte (blanche, ou autre) s’installe.
- Colère : phase caractérisée par un sentiment de colère face à la perte. La culpabilité peut s’installer dans certains cas. Période de questionnements.
- Marchandage : phase faite de négociations, chantages, construction de colonies dans Jérusalem-Est…
- Dépression : phase plus ou moins longue du processus de deuil qui est caractérisée par une grande tristesse, des remises en question, de la détresse, comme dans n’importe quel film d’Eric Rohmer. Les endeuillés dans cette phase ont parfois l’impression qu’ils ne termineront jamais leur deuil car ils ont vécu une grande gamme d’émotions et la tristesse est grande.
- Acceptation : Dernière étape du deuil où l’endeuillé reprend du mieux. La réalité de la perte est beaucoup mieux comprise et acceptée. L’endeuillé peut encore ressentir de la tristesse, mais il a retrouvé son plein fonctionnement. Il a aussi réorganisé sa vie en fonction de la perte.
Ça, c’est pour le deuil. Le Japon, c’est pareil.
(Allergiques à la psycho de comptoir, passez votre chemin. D’un autre côté, si vous lisez des blogs de Français au Japon, ça doit être exactement ce que vous cherchez…)
1 – Le premier stade semble être l’émerveillement idiot, le choc des cultures, qui s’accompagne chez le Français moyen d’une analyse plus ou moins longue du pourquoi et du comment (durée relative au degré d’ignorance : exprimer le « je ne sais rien » prend plus de temps que le « Je sais »). Il semble toucher énormément de gens qui n’ont jamais mis les pieds ici, mais qui en ont la ferme intention, quand ils toucheront l’argent de la CAF ou qu’ils trouveront un vol pas cher, mais pas Aeroflot, faut pas déconner non plus. En attendant, ils regardent des blogs comme celui-ci (peu) ou plutôt ceux avec des photos de temples sous la neige, de feuilles d’érables devant avec du flou derrière, de croisements de Shibuya avec un effet miniature et de filles shootées en skred au télé, mais qui vous ont capté bien grave avec votre MarkIII de 28 kilos. Si c’était votre crédo, n’oubliez pas de mettre des watermark dégueulasses dessus et d’essayer de vendre les clichés alors que vous n’avez aucune autorisation de le faire.
L’émerveillé du Japon aime les sites de neuneus photographes parce qu’ils lui vendent exactement ce qu’il veut : du cliché.
Pas moche, hein ? Juste impersonnel. Une sorte de « Y’a bon Banania » de la photo. C’est pas du racisme, mais c’est quand même une société tellement différente, dis-donc…
Les étoiles dans les yeux perdurent avec les 2 premiers voyages, bien sûr, voire plus si les oeillères sont en titane. On voit le Japon qu’on avait imaginé, fantasmé, ressenti. Les niveaux d’appréciation sont tous différents suivant les points de vue, les expériences, mais l’étape semble obligatoire : si le Japon n’attirait pas, pourquoi liriez-vous cela ? Pourquoi viendriez-vous ? Pourquoi l’INALCO ? Pourquoi les festivals Cosplay-Kawaii-Manga-Etc ? Pourquoi NoLife ?
L’enthousiasme fait vivre (moralement, financièrement), fait découvrir, c’est formidable. Je ne crache sur rien, sauf sur vos filles, quand elles sont presque majeures. Ah ah. Nan, j’rigole, je n’assume que dalle (je suis un peu de droite, au fond).
Ayant déménagé directement à Tokyo, sans apprentissage de la langue, sans passion particulière (autre que cinématographique), l’émerveillement fut en fait très court.
Déjà, voyons les choses en face : venant de France, ça contraste, mais venant de Suisse, déjà moins : même ouverture apparente, même conservatisme profond, même organisation minutieuse du réseau ferroviaire, mais moins de fromage, c’est clair. Nous y reviendrons.
2 – Cet enthousiasme est voué à être relativisé : plus le séjour se prolonge, plus vous notez des différences, et plus vous les notez avec véhémence. Ca peut porter sur la conception de la politesse (« Tu es enceinte ? Je suis assis et pas toi ? JE NE TE VOIS PAAAAAS ! QUI ME PARLE ? »), sur la mode vestimentaire (« Elles n’ont pas froid avec leurs jambes à l’air, là ? Nicolas, Oh ! Je te parle ! Ca ne te choque pas, toi, bien sûr ! »), la nourriture (« le Kara-age, c’est trop bon, mais le tofu à Kyoto, on n’en pouvait plus. Après 4 jours, on s’est fait un MacDo à Osaka »), et j’en passe. Bref, on trie, on classe, on distingue. Là encore, rien d’anormal.
L’installation à long terme pose problème.
Déjà, au bout de 6 mois, vous quittez Stéphanie, parce que vous ne vous entendez plus. Elle n’en peut plus que vous regardiez toutes ces putes anorexiques (pas une maladie au Japon, disons-le clairement : juste des gens qui sont « soucieux de leur apparence ») en mini-shorts, et elle a pris 10 kilos. On ne peut pas lui en vouloir. Au début, elle ne travaillait pas et se faisait chier comme un rat mort, puis elle a commencé à sortir faire du sumi-é, aller à l’institut, au Canal-café, elle a rencontré des francophones, fait des ateliers Fromage-blanc à Yotsuya , tout le monde trouvait qu’elle était sympa, et puis elle a réalisé n’avoir aucune amie. Internet est devenu son havre, Nicolas travaillait tard, ils allaient boire avec le manager et la secrétaire-là-tsssé-dont-j’t’ai-déjà-parlé et qui fait 46 kilos avec une Canada Goose, bref, c’est la solitude.
Nicolas dit des mots doux et rassurants à Stéphanie, mais non ma chérie, tu es la plus belle des copines, et moi aussi j’ai grossi (je résilie tout de suite mon abonnement à Kara-age passion, la passion de l’huile et du gras), c’est le coeur qui compte. Mais c’est vrai que tu as un putain de gros cul, et je suis tellement une trompette que je ne te le dirai jamais en face. Tu le sentiras et me quitteras. Moi ça va, je suis un gaijin mâle, tout m’est pardonné dans cette société.
3 – Car oui, la plupart des mecs qui vont rester seront des mous-du-ventre. Des gens qui ne veulent pas de problèmes, des gens que la France agresse à chaque retour, des gens qui payeront leur appartement plein pot, parce que bon, déjà on est étranger, on est bien content d’avoir trouvé, et puis on n’était plus à un mois de caution près.
AH AH AH.
La phase transitoire peut être longue. De toute manière, il n’est pas question de voir là des phases absolument imperméables temporellement : ça s’entrelace, comme mes poils de cul quand je fais du vélo. C’est un peu pénible.
C’est justement de cul qu’il est question dans cette phase de marchandage, puisque vous l’avez entre deux chaises. Enfin, entre une chaise Lüngrof en France et une chaise Olmmögt au Japon, ça ne change pas tant que ça, mais vous voyez ça trop physiquement, soyez plus attentifs : c’était une image.
La tatamisation, ce moment où vous vous habituez à ne plus être debout dans votre intérieur, fier, viril, dressé vers le ciel, rouge et vibrant en petit soubresaut circulaires (on vous avait prévenu : ne vous levez pas abruptement après 4 verres d’imo-shochu. Vous êtes cons.), cet instant interminable qui fait de vous une créature qui se courbe spontanément à l’approche d’une porte ou d’un supérieur hiérarchique, ce temps d’adaptation à une vie dans laquelle il est normal de ne trouver qu’une seule variété de pommes à 1euro pièce (et non le kilo), plein de joyeux moments où on transpire en trempant sa bite dans la même eau que 29 autres salaryman, de déjeuners composés de bol de riz, salade de patates et nouilles en accompagnement, de fêtes à la maison pliés en quinze parce qu’assis en cercle par terre pour manger des chips dont on se partagera l’addition au yen près, même Ayako qui a pourtant apporté du pain qu’elle a fait elle-même (Bravo Ayako. Sugoii ! Clap-clap), bref : le temps de la composition : vous rejetez autant de choses que vous en acceptez.
Vous n’acceptez que ce qui vous plait, officiellement, mais laissez couler tout le reste, parce que bon, on n’est pas chez nous, et puis vous êtes un mou du chibre, alors essayer de changer des trucs, bah, pfff, à quoi bon.
Mais attention, pas question de se laisser insulter, hein ? Le tatamisé moyen se réserve le droit de critiquer avec une violence qu’il estime relative (« Les gens qui marchent doucement, un téléphone à la main, c’est le cancer ! Au moins, quand y’en a un qui crève, ce n’est que justice ») mais également le droit de répondre aux agressions des francophones qu’il fréquente sur Twitter, et qui sont tous des connards négatifs en puissance (« Y’a que des français frustrés pour attaquer les gens comme toi ! On se croirait en 1942 ! J’ai pas quitté le pays de Flamby et sa clique pour m’entendre dire que mon live-tweet du Tokyo Game Show ne parle que de RPG! »). Qui plus est, comme chez les sangliers, l’agressivité est décuplée envers les éléments jugés dangereux (tronc d’arbre, Renault 5 pour les sangliers / gauchistes, moqueurs pour les Gaulois) lorsque leur progéniture a été mise bas, et qu’ils sont bouffés entiers par la femelle devenue dominante. Leur honneur blessé ne supporte plus alors la moindre ironie.
Il n’est pas impossible que se profile alors la phase 4, celle qui donne des fourmis. (Celui qui comprendra cette référence gagne une bonne bière offerte par mes soins).
La tristesse. Qu’est la tristesse sinon de la colère rentrée ? (Si vous voulez des cours de fatitude à tendance new-age, je prends les réservations, c’est 4500 yens les 40 minutes. Vous aussi, vous pourrez cacher votre incroyable orgueil derrière des citations du Dalaï Lama, de Paule Salomon ou d’Alex Métayer).
Le fait est que la tristesse m’assaillit jadis au Kenya, mais là n’est pas le sujet. Le gaijin trisannuel est souvent triste. C’est une vague estimation : on peut être triste avant ou après, voire tout le temps. Le fait est que lorsque j’ai remarqué que ma vie au Japon était un fiasco total, j’étais triste. J’étais con, aussi : sans boulot valable, criblé de dettes, chaos affectif, sans plus d’amis que ça, je ne sais vraiment pas pourquoi je suis resté, si ce n’est par orgueil.
Cette tristesse de ne pas être chez soi, jamais, un étranger à jamais, on la lit souvent dans l’oeil du blanc local. On le sent résigné d’être coincé dans la zone de transit de l’aéroport depuis trop longtemps. Il sort moins (quand sa femme l’y autorise), il poste des photos de ses enfants aux noms polyvalents sur Facebook, il pense à investir dans un appartement, sa mémé a commencé à étudier le japonais au centre de Saint-Brieuc, pour communiquer avec les petits-enfants.
Sa tristesse, c’est des bras qu’on baisse (« non, je n’écrirai pas de livre sur « mon Japon », maman!« ), du bide en plus, de la routine, un agacement mou face à l’incompréhension de sa famille pour ce pays, une vague gêne de voir des photos de famille en polaire Quechua.
Et parfois une honte sourde d’avoir essayé de faire comme tout le monde, même une seconde, sans y penser, puisqu’on vous a dit de le faire, mais de ne pas avoir décelé que c’était pour de faux : Gambarez-donc, petit étranger. N’est de Japonais que celui qui gambare. Ah, comment ? Vous espérassiez que le gambarage ne fît de vous un local ? Que moultes grands barrages passer fasse plus que vous rapprocher de notre précieuse unité insulaire ? Mais qu’espériez-vous donc ? Pas devenir Japonais, au moins ? Combien même eussiez-vous brisé tant de miroirs, que votre…enfin…regardez-vous, merde !
Je pense en être enfin à la phase 5. J’estime que faire des erreurs est légitime, voire nécessaire. Les phases ? Très bien. Qu’aurais-je pu faire d’autre ? Il faut assumer. Au delà des nationalités et des frontières, je suis partout, tel Gwen ou Robert Brasillach, qui se ressemblent si peu. J’ai perdu un certain nombre d’attaches avec la France ou avec la Suisse, mais je n’en souffre plus vraiment. Tel ou tel plat me manque ? Je le fais. Telle règle japonaise m’agace ? Je l’ignore ou la contourne. Les couillons exaspérés par les taxes alors qu’ils vivent de subventions ? Qu’est-ce que ça peut me foutre, si vous ne réfléchissez pas en terme de système global ?
Tout ça me donne droit à la Médaille du Plus Gros Con, d’un point de vue français. A celle du Mec Vraiment Désagréable, du point de vue nippon. De l’helvète, je préfère ne même pas savoir, tellement c’est parfois un peuple d’ego-chouineurs. Toujours est-il que ça (changer de point de vue) me permet de vivre de manière plus ou moins équilibrée, dans un pays qui n’est pas le mien, comme partout dans le monde, mais où je vis pleinement. Je pense qu’un jour ou l’autre, il y aura un retour en Provence, dans notre hameau isolé, international (6 nationalité sur 7 ménages) et tellement rural qu’on y est seul, qu’on le veuille ou non.
En attendant, je suis ici, et j‘en profite enfin.