Le lendemain de la soirée avec Jud (ce qui prouve que je me suis foiré comme une grosse buse dans la chronologie), le réveil sonnait à 7h et le foie re-criait pitié.
« I’ll tell ya what time it iz, bitches ! It’s bizness time ! »
On rejoignait Taiki et Yusuke à Akihabara, prendre l’express vers Ibaraki où Mamoru et Akira avaient passé la nuit et loué une voiture.
Tout le monde n’est pas Clarence et ne prétend pas aller à Ibaraki pour affaire. Nous y allons dans un esprit du Père de Foucauld en ermitage dans le désert que Théodore Monod arpenta tant, comme le Maréchal Lyautey, mon idole des années prépas, comme les Flamandes en Sénégambie :
Officiellement, nous n’y allons pour rien, parce qu’IL N’Y A RIEN là-bas.
Mais l’histoire officielle est écrite par les plumes arrachées à la volaille ouvrière et trempée dans le sang de celui qu’on exploite dans les usines, Camarade ! Va, vois et reviens-en parler à tes frères !
On constatera surtout que les jambes de Tata Taiki sont relativement courtes et qu’avec ses chaussettes en polaire chamarrée et ses sandales et polyamide design testés en soufflerie, Yusuke a décidément un style de Congolais.
Après avoir tâté du poney avec une pensée émue pour mon ancienne CPE, la route fut traversée et des soba engloutis avec plaisir quoique la passion de Baptiste pour les sandwichs de kombini n’ait précédemment un peu fané mon appétit.
Le cadre était vraiment classe, avec la roue à aubes qui actionne le moulin à sarrasin, pilonné comme par Charles Martel à Poitiers, mais je m’égare et elle était facile.
On notera que le goût des nouilles tue inversement à la faculté de la serveuse à comprendre la commande (il aura fallu lui répéter 5 fois).
Ibaraki est majoritairement plat, ce qui signifie que si ta copine hurle soudain, c’est pas un orgasme spontanément déclenché par la monotonie et la laideur fanée des bâtiments, mais parce qu’un bouddha géant est apparu à l’horizon.
L’entrée en est idiotement chère, l’attente itou, les abords pleins de marchands…comme d’hab. On se casse.
Après quelques rizières (Toi avoir compris, futil crétin ? À Ibaraki y’a rien !), on engage le monospace (engin de mort inhérent à tout voyage agglutinant dans ce pays agglutiné) dans une sombre ruelle étroite comme un colon de lapin domestique, le tout débouchant sur une cour intérieure ornée de deux immenses étrons debout, à mi-chemin entre le totem indien, le vase phénicien et didgeridoo du Guiness Book, un truc qu’on a envie de shooter au bazooka à coup sûr.
Il s’agit apparemment des plus grands vases du monde, mais sûrement aussi des plus laids. Quoique, face à ce qui va suivre…T_T
On choisit de faire notre activité poterie à la main, 1000 yens et voilà. Pas parce qu’on a envie de faire un retour au néolithique ou pour réduire la charge carbone, mais parce que 5000 pour utiliser un tour électrique, c’est abusé.
Le potier en chef va donc nous montrer avec une rapidité déconcertante comment faire d’extra cleans objets en 2 temps 3 mouvements. Tandis que Taiki gémit des « sugoi-umaiiiii » comme un caribou femelle en pleine descente d’ovaire à 2 kilomètres de la forêt des vieux mâles, tout le monde cogite sur ce qu’il va faire et j’angoisse à l’idée de tous les voir reproduire ces sympathiques clones de formes IKEA des campagnes, nonobstant 1800 ans de glorieuse tradition potière nationale.
Divine surprise comme Pétain en 1940, ils vont faire exactement l’inverse, c’est-à-dire n’importe quoi.
Yusuke et ses deux pyramides (entre Bilal et les aliens terraformants de The Authority), Mamoru et sa plaque de glaise (accompagné d’un oiseau assez stylisé, avouons), Akira et son horreur dont l’utilité comme la conception m’échappe, Baptiste et son atroce bibelot de cérémonie inca de série Z…Taiki fayote à fond les ballons et fait un bol à nouille d’un kilo (« tu bois pas le bouillon ? – Nan, je…ah…j’ai mal au poignet…« )…Bon, j’attends les résultats.
Au fur et à mesure qu’on s’approche du Onsen, Baptiste se fait plus bruyant : « j’ai pas pris mon maillot, je veux pas voir vos bites, je pensais qu’on en aurait un privé », gnagnagna…
Reconnaissons que tourner la tête et voir le paquet étalé d’un vieux avachi insolemment sur une chaise en plastique ne laisse pas rêveur. Ni les énormes paquets de planctons qu’ils se traînent (j’imagine bien la récolte des algues hijiki avec un bébé-concombre de mer coincé dedans, ça doit ressembler pas mal à ça), ni les bedaines, ni les faces rouges…Mais on s’y habitue bien, hein mon timide ?
Finalement, après l’inévitable trajet retour avec la musique en bois (la radio, tragédie nationale), un dîner vite expédié, quelques photos, on reprend l’express. Demain, il pleut.