
Un article sans aucune portée scientifique. Japonisants et pragmatiques, passez votre chemin. Pour ceux qui resteraient, cet indécent chiffon lève un peu le voile sur le glorieux Tanguy qui sévit dans les commentaires.
Pendant qu’en face de moi, un japonais affublé d’une tête d’Ahmadinejad (le président iranien, là) en total look TheNorthFace tape la discute avec Miss Iran en burqa Patagonia, que tous les mecs lorgnent sur la dégueulasse cellulite qui pare des guiboles de la salope aguicheuse du wagon, comme un croisement entre une jolie fille et un poisson-lune en colère, les porte-jarretelles sous le short en plus, moi pense à la soirée chez les DuRuxtaux (nom modifié, faut pas exagérer non plus)

C’était une période bénie, celle du deuxième CAPES d’Histoire, quand tu as absolument abandonné l’idée de le faire sérieusement, que ta motivation a coulé au fond d’un gobelet en plastique, celui qui contint du martini blanc et contiendra du ponche dans 10 minutes.
« Et si on faisait une soirée années 80 ? »
Je ne sais plus qui a commencé avec cette idée idiote, si ça se trouve même moi, toujours-est-il qu’elle devait avoir lieu dans cet appartement sur-dimensionné et loué pour un prix ridicule par une bande de connaissances, le genre dont on s’étonne d’avoir souvenir du nom quelques années plus tard, et plus encore, dont on se demandait pourquoi on a bien pu les fréquenter.
« Tu viens à la soirée de Léti, samedi ? »
Pour l’appart, peut-être ? Va savoir…j’imagine que c’est surtout un mouvement de groupe.

Ah, le groupe, sacro-sainte entitée protéiforme et cannibale des années oisives, des premiers pôtes que tu te fais en entrant dans l’amphi aux boulets que tu recroises à chaque fois.
J’arrivais à Aix sans motivation, sans préparation, sans avoir fini ma maitrise sur les « commémorations et lieux de mémoires de la guerre de 1939-45 en Avignon », sujet mort-né par le fait que je voulais travailler sur la mémoire de la guerre mais qu’interviewer des anciens qui n’y étaient pas et se tiraient dans les pattes entre eux était démotivant. Et puis j’étais mal organisé, et puis une grosse moule aussi, et bien d’autres excuses.
Ma copine s’était barré en Croatie christianiser les païens, pardon, enseigner le FLE, et j’avais les couilles comme des pamplemousses de Floride.

Entrer dans l’amphi, regarder autour de soi, chercher les gens qui écouteraient du hardcore (=coupe abjecte, T-shirt bètement sporto-martial, peut-être des Dr.Martens, autocollants Madball sur le classeur…), ne trouver personne.
Changer de cible, chercher les jolies filles, s’assoir dépité.
Il y en avait bien une, là-bas au fond, elle semblait vaguement sourire, mais elle avait forcement un copain, non ? Pas grave, un jour je lui volerais, j’ai la morale d’une rascasse en phase terminale de cancer de la nageoire.
Grâce à un logo Ninja-Tunes qui trainait par là, j’approchais Hugues, une énième victime (consentante) de mes talents en matière de bluff musical.
Tanguy semblait désagréable de prime abord (attitude « c’est qui se mec qui vient s’incruster ?»), et j’ai comme l’a vague impression qu’il y avait une troisième personne à la table, mais qui ? Surement un de ces inexistant chauffeurs de bancs dont le visage se remplace par un gros point flou quand ton cerveau daigne ne serait-ce qu’en conserver une trace de pneu.

A l’interclasse, la jolie fille et son copain (grand, beau, poilu mais gentil, homoérotique as fuck, j’en était instantanément envieux-jaloux) vinrent nous rejoindre parce qu’ils se connaissaient, et je m’apprêtait à passer plusieurs années avec eux. La formule est ambigüe ? noooon…
C’est maintenant l’été, on se connait, on a grossi, on boit et les hormones sont aux même niveaux que l’apparente complicité. Certains ont emménagés ensemble, d’autres sont copains comme cul et chemise, (mais c’est l’été, alors… « tombez la chemise », il reste le cul) et il y a plein de personnes que je ne connais pas vraiment, pas du tout ou que j’ai même pas envie de connaître.

Qui c’est ce mec qui sert à rien sur les photos ? Dois-je vraiment être gentil avec tout le monde sous prétexte que c’est chez eux ?
L’absence d’excellence dans le mauvais goût les rends méprisables à mes yeux. Oui, il fallait être de mauvais goût. Heureusement, certains y parviennent : Hugues et ses Ray-Bans+Converses turquoises, qui semblent tellement banales aujourd’hui. Will et sa complète en jean et caleçon bariolé, manchester -pré-baz vs. Barrio-de-Medelin + LE bandana. Ah non, ça ne compte qu’a moitié, il est anglais, c’est inné. Tanguy et son look italo de fête de village, d’une vulgarité pléonasmique.

Les filles sont nazes, les mecs manquent de conversation, on tire mollement sur un pétard. Faut voir les choses en face, on s’ennuie, mais on s’amuse à s’amuser.
Tanguy, vié sur patte devant l’Éternel, essaye pourtant. Il attaque sec, comme le fond du gobelet qu’il remplit sans cesse pour humidifier sa bouche asséchée par la logorrhée du dragueur de fond, celui qui a des pieds ferrés, aussi lourds qu’écrase-orteils.
C’est pas possible que ce soir il soit lourd comme la dernière fois, je sais plus où, que toutes les filles nous racontent qu’il tenté d’harponner une petite métisse asiat’ jusqu’à ce que mort s’en suive. Mon éducation puritaine m’interdit de tolérer ce genre de harcèlement. Ma frustration personnelle non plus. Je me dois de défendre l’honneur des femmes bafoué par les Tanguys du monde entier. Que cesse la servitude à la burne corse ! J’en fais une affaire personnelle.

20 minutes, c’est le temps qui suffit dans mon souvenir.
Maintenant, Tanguy sort des toilettes, il parait qu’il les as repeintes. Je n’ai pas besoin d’aller voir : c’est moi qui ai rajouté du mousseux et du rhum dans sa vodka orange. Il suffit d’arriver en hurlant « cul ssssec, CUL SEC ! » pour que les verres brandis soient vidés. Hugues se sent un peu coupable, moi ça m’amuse parce que je n’aime pas beaucoup nos hôtes et qu’ils devront nettoyer.

Rétrospectivement, je me pose des questions : est-ce qu’a cette époque j’avais une copine ? Est-ce que je convoitais déjà celle des autres ? Est-ce que ce n’était pas déjà la fin ?
L’université s’était lentement mué en vacations, en DESS de com’ (ouais euh, tu vois !?), en emplois du temps éparses.
Tanguy organisait son domicile comme il trempait son gland : chez les uns, chez les autres. Je me rapprochais vaguement de Gretel, on buvait des picons-bière à 7euros et elle parlait, parlait, parlait, parlait. Ça m’amusait jusqu’au point où elle racontait ses infidélités d’un soir de boite. Fantasme ou réalité ? Je me sentais mal par rapport au fait que c’était la copine de mon ami, mais la poussais à parler encore, et finalement, sans doute qu’entrainé dans son plaisir de jouer la femme libérée, tout le monde le su sauf l’intéressé, ce qui me faisait doublement de la peine.
Elle ne se priva pas pour me faire passer pour le pire des bâtards quand j’échouais avec la première fille de l’amphi. J’étais le briseur d’ambiance, la pure pute sans vergogne, et j’aimais ça.
Le groupe était mort, mais les années 80 revenaient de plus belle.
