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cons de pacoulins, entre tradition et mon cul c'est du poulet ?, hybrides F1, Japon, Paysannerie, révolte des bonnets en soie de kimono, risettes dans les rizières, Shizuoka
Assis dans la rizière ci-dessus*, entre un petit cours d’eau au cours désormais enserré dans le béton, j’ai un petit pincement au coeur de pierre.
(*Non, tas de cons, je n’ai pas atteint ce degrés de hipsterisme qui consiste à s’assoir dans une rizière avec un mac book pour être en communion avec ce que j’écris. Ce sont mes réflexions de ces derniers jours.)
Fracking Starbucks.
Des piquets plantés au bord du champ donnent un indice de l’avenir proche pour cette parcelle, à celui qui n’avait pas remarqué que le champ n’a pas été travaillé depuis la dernière récolte : on va y construire une « mansion », soit un de ces immeubles résidentiel sans ambition, comme celui que j’ai devant le gueule, crânement appelé Nova, sans doute en hommage à l’intersidérale fadeur fonctionnelle de son design. Ici, sur le riz, poussera un blême ensemble de clapiers recouverts de faux carrelage, comme tout édifice de peu d ‘envergure, dans un pays dont le moto oscille désormais entre une modernité définie par la médiocrité des matériaux employés, et une tradition bâclée, fantasmé, des techniques que plus personne ne maîtrise mais qu’on fait semblant de protéger, de peur de changer quoique ce soit.
Ceci n’est pas un cassoulet.
Sérieusement, on peut écrire 14 tomes d’articles sur les maisons japonaises « modernes », et ne pas arriver à décolérer. Ca ne servirait à rien de toutes façons. Notre problème du jour porte sur l’approche de l’espace de vie, et comment n’y rien foutre.
Dans cette résidence qui va se construire, vivront peut-être heureux des gens seuls, des couples, des vieux qui veulent pas mourir (faites un effort, merde !), des gosses qui feront des combats d’écrevisses au lieu de les bouffer comme des gens civilisés, des joueurs de pachinko à demi-sourds, des pédés forcément refoulés (le Japon, l’autre Iran), de jeunes office lady qui décorent un cadre de 100yens shops avec de la dentelle pour y afficher la photo d’un chien prise dans la rue, des garçons timides qui regarderont ta bite en skred au bain public d’à côté, des quinquagénaires enfin divorcées de leur mari absent (peut-être à juste titre), bref, des Japonais. Des étrangers, je doute. Déjà, je ne vois pas ce que tu foutrais dans la banlieue de Shimada, Shizuoka. Et quand bien même, tu sais qu’il est chaud de trouver des apparts pour les non-natifs, hein ? Alors une mansion en carrelage neuf, penses-tu….
Faire son miso.
Le truc, c’est que ces gens ont des chances d’être ravi d’habiter là. Alors que moi, quand on m’a annoncé que la parcelle serait construite, au début, ça m’a fait un peu couic sous les côtes. J’y avais passé des heures à essayer de soigner les vignes abandonnées, noyées dans les broussailles infestées d’araignées-guêpe, couper le vieux bois, biner le sol, arranger le tout en pergola, avec plus ou moins de succès. Nettoyer les abords du champ, pailler les pieds, planter des noyaux de pèches de vigne, au cas où…
Le swag ultime du vendeur de moisissures.
Mais finalement, c’est bien comme ça. Quand toi, étranger, tu mets un pied dans la paysannerie japonaise, n’oublie pas ces mots : « Toi qui entre ici, abandonne toute espérance« . On objectera que c’est partout pareil, que « wat de boer niet kent dat eet hij niet« , etc. Je sais. Là où je veux en venir, à part me la péter avec une phrase en hollandais (dans le trio de tête des langues européennes les plus moches, clairement), c’est que comme la télé japonaise, la paysannerie japonaise t’aura à l’usure.
Cagettes de culture de ferments.
Nettoyer les abords de la ferme, parce que mon oeil de vierge campagnarde embourgeoisée se choque de voir de vieux sacs d’engrais abandonnées au bord, c’est faire de l’archéologie sur les dernière cinquante années : des strates de pesticides, d’herbicide, de granulés, des films de protection, des filets anti-corbeaux, des copeaux de piquets en plastique, des sangles à botter…Des canettes de toutes générations, des cup-ramen d’une autre époque, des sachets de bonbons, de la moquette, des cintres. Un demi-siècle de comportement de poule, à vivre dans la merde. Un demi-siècle à tirer toujours et encore sur la terre, à ajouter toujours plus de produits parce qu’elle s’épuise à force d’hybrides F1, pendant qu’on plante trois fois par an sur la même parcelle, parce que le F1, c’est l’assurance de concombres calibrés pour les boites en carton, en trois mois, contre 5 pour les traditionnels. Un demi-siècle pour oublier comment on fait des graines (les F1 n’en font presque pas de fertiles, c’est pas plus mal), donc être complètement dépendant de l’achat, un demi-siècle pour ne plus savoir enlever des mauvaises herbes à la main, ne plus faire de compost et plutôt abandonner les fanes et les racines en plein milieu du chemin (paye ta glissade…), oublier ce qu’est le paillage, oublier ce qui se mange, ce qui s’accorde, ce qui nourrit le sol, ce qui l’appauvrit.
Comme en France, le tout subventionné à toc par l’Etat : produit la même chose partout, appauvrit ton sol, creuse ta tombe, et financièrement, et physiquement.
Alors, quand en 2 jours, tu déterres 6 sacs poubelles de déchets, que ça semble vaguement propre au abords de la maison, et que 4 mois plus tard, tu retrouves de nouveaux plastiques semi-enfouis, semi-brulés par le soleil, tu dis non. Juste non. Vous avez bien fait de décider de faire construire : vous ne méritez pas cette terre.
Cette terre légèrement argileuse, ce limon gagné sur la rivière avoisinante, exempte de pierres, c’est assez irréel pour moi, né dans la Provence, tellement riche de ses cailloux qu’on en a fait des bories et des capitelles tous les 50 mètres, au milieu de ses murs-pierriés désormais en voie d’éboulis.
Pas une terre pour la vigne, j’en conviens. Une vrai terre pour le riz, pour le daïkon, le poireau et tout ces trucs qui poussent relativement profond, mais aussi une terre qui sait rester humide, une terre facile à travailler, si fertile.
C’est un plaisir d’en manger le fruit, mais l’année dernière c’était les salades qui pourrissaient sur pied « parce qu’il y a des moucherons dedans et qu’elles ne sont pas calibrées« , puis ce fut les poivrons empuantirent le jardin, que vous ne ramassiez pas parce que ça va comme ça, on ne va pas manger que ça non plus, et maintenant, c’est le chou chinois dont on jette 1/3 des feuilles parce que fermer les cônes était chiant et qu’ils sont en l’occurrence pleins de feuilles mortes, donc invendables dans ce pays où tout doit doit avoir la même gueule que dans un catalogue Rustica. Transformer les surplus ? Lactofermenter ? Congeler ? Faire des coulis, des légumes secs, des conserves ?
Non, on préfère regarder la télé. On en a une dans chaque chambre. 42′ pouces minimum, et un fist mental complet à chaque heure passée devant.
Dutch oven.
Alors, voyez-vous, quand je taille les pruniers et que les fruits grossissent d’un tiers, mais que vous oubliez de les prendre à temps, vous m’agacez. Quand je fais un compost et retrouve les vinyles des plants d’arachide encore accrochés aux racines dedans, vous m’agacez. Quand les graines de courge que j’ai semé germent mais crèvent à 80% parce que vous n’avez pas arrosé et qu’il y a tant de crevasses au sol qu’on dirait qu’on dirait la tronche à Hideki Matsui, vous m’agacez vraiment un peu.
Et finalement, même si ça bouge un peu, que j’essaye de ne pas faire le mec désagréable qui vous apprend votre travail (parce qu’après tout, je serai bien infoutu de faire du riz ou du thé, que vous faîtes si bien), que je me dis que ce n’est pas mal vie mais la vôtre, je lâche prise, doucement, mais avec la triste impression que vous ne méritiez pas cette terre. Par fainéantise.
Oh, je comprends : vous ne vous êtes pas installés dessus pour le temps. Vous exploitez votre terre sans lendemain, presque au sens premier du terme. Vous construisez des maisons sans avenir autre que celui d’être détruit, soit par un tremblement, soit par le mépris national pour le vieux. Pleurez donc que les jeunes ne veuillent pas continuer à la ferme, vivre dans vos maisons en cartons construites pour vous voir interminablement rapetisser et manger des mandarines sous le kotatsu, pendant que les talento interchangeables vous vomissent à la gueule une vacuité pire encore à la vôtre. Je sais, c’est un trait culturel avant d’être un trait cul-terreux.
Mais votre paresse, là, non. Juste non.
Je ne mérite pas votre terre non plus, si vous vouliez tout savoir, moi qui chouine d’avoir coupé deux brindilles et de pas recevoir de médaille du mérite agricole en retour. Moi aussi, en tant que prof, je connais la paresse de ne s’en tenir qu’à ce qu’on sait déjà faire, et moi aussi, il me faut encore et toujours de l’énergie pour vaincre cette fainéantise de base. Je fais mon possible pour ne pas mépriser ceux qui ne le font pas, c’est tout.
Si c’était de la paresse créative, à la Alexandre, je comprendrais. Si vous vous reposiez pour autant, je comprendrais.
Mais ce n’est ni l’un ni l’autre : les techniques qu’on vous propose permettent d’économiser l’activité humaine. Laisser la terre travailler, se concentrer sur l’amont, produire biologique, vendre plus cher, transformer et gagner de l’argent sur le produits transformés…
Mais non. Vous préférez construire une mansion éphémère. C’était sûrement le meilleur choix, après tout.
Premier lever de soleil de 2014.
Pour info, sur les « mansions » : sur Reddit et l’excellent Néojaponisme.