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En ce moment, ma vie est aussi passionnante qu’un épisode de Zodiaques (ou Coeur Caraïbes), donc vous comprendrez que je ne poste pas.
J’ai bien un ou deux gros articles indigestes en cours d’écriture, mais ça attendra. Voici donc des récits-miettes de ma platitude ordinaire, aussi intéressante qu’un boulard japonais : inévitable enchaînement présentation incommensurablement longue et molle, pipe sans entrain avec moults bruits de suçons gerbitifs, gadgets en plastiques et gémissement agaçants tout au plus, final écoeuré. Mosaïques partout, bandaison nulle part !
À force d’articles, vous aurez compris que je passe une partie de mon temps libre à Shizuoka, dans la famille de ma compagne, et que j’en tire autant de joies que de frustrations.
Joie d’être à la campagne, au contact de la terre, des plantes autres que celles de mon balconnet… tailler les arbres, semer des légumes, faire des composts.
Frustration et colère, de voir les fruits non ramassés, de trouver du plastique dans le compost, ou les buttes semées envahies de mauvaises herbes, craquelées comme le Niger, faute d’arrosage régulier. Cette fois, ça m’a vraiment mis à terre, dans tous les sens du terme :certains légumes étaient sortis de terre, d’autres pas, c’est la vie… Mais que les salades n’aient pas été touchées (il faut éclaircir les rangs après germination), ça m’a achevé.
« Ah, mais on ne savait pas ce qui est de l’ordre de la mauvaise herbe, on n’a jamais vu de fenouil de notre vie ».
Dont acte. Bien sûr, vous auriez pu regarder dans le manuel de jardinage japonais que je vous ai offert, à la page « fenouil », dont un post-it sort, avec le nom dessus. Vous auriez aussi pu constater que certaines plantes étaient différentes des autres mauvaises herbes communes à tout le jardin, et, comme tout le monde a un téléphone qui prend des photos, vous auriez pu m’en envoyer une, demander, tout simplement.
Vous auriez pu en avoir quelque chose à foutre, en somme, ce qui ne coule pas de source, j’y consens.
J’ai bien compris qu’en ignorant mes salades, que vous connaissez pourtant bien, vous aviez d’autres priorités. Je ne peux que difficilement vous le reprocher : vous m’offrez un lopin, c’est mon envie d’y faire pousser des légumes dont vous n’avez pas besoin. Entre la charge des vieux et leur tyrannie horaire (« il est 18 h et le dîner n’est pas prêt ?!« ), le thé qui demande quand même de l’entretien, le reste du jardin, j’imagine que mes 4 buttes arrivent en dernière position, justifiée.
Mais, pour autant qu’il y ait des raisons, ça m’a déprimé. Comme un coup de poing au ventre, que tu n’as pas senti venir. Aussi compréhensible que ce soit, ça entérine un sentiment triste pour moi : vous, parents de ma compagne, vous vivants, je n’habiterai pas avec vous. Pas parce que vous avez laissé sécher nos 2 fenouils et 3 panais, mais parce que dans mon échelle de valeurs, ne pas avoir la curiosité ou le respect de contacter votre fille, et laisser à l’abandon quelque chose qu’elle a passé 5h à préparer (binage, semis, paillage, etc.), ça ne va pas le faire.
Ça ne m’attriste pas tant pour le soufflet mental infligé (« J’me croyais important et pis finalement non ! Bouh bouh… »), le temps perdu, ma daurade au four sur lit de fenouil qui s’envole que le fait que ma compagne ait compris que je n’arriverai jamais à vivre avec eux. Ou plutôt, que je n’en avais aucune intention. Sans rancune, ou presque.
Sinon, ça s’est bien passé.
Après le passage « jette ta pelle par terre, roule au sol et jette des mottes de terre en l’air en hurlant AHHAHAAAAAAAA ! », j’ai décidé que si les graines étaient sorties, c’était mon travail de leur donner une chance, puisque j’avais commencé le processus. On verra ce qui aura survécu la prochaine fois, mais j’éviterai d’y fonder trop d’espoirs.
Alors que je désherbais et séparais les plants, Takeshi est arrivé, le poignet alourdi de sa Panerai, col de polo relevé, lunettes de soleil de mouche à merde de marque. Ça commençait mal, mais finalement, il était sympa, comme la suite le prouvera (= Il a payé pour tout).
La vieille grange qui va être démolie (cf. mon autre article de pleureuse, ici) est pleine de vieux outils, vieux meubles, portes coulissantes, coffres, chaînes, plots. Takeshi, dont les parents possèdent une résidence secondaire de l’ancien temps, était venu voir ce qui pourrait l’intéresser pour équiper cette vieille ferme. Voici le genre de choses qui traînent sous les poutres. S’il y a quelque chose qui vous intéresse aussi, vous me ferez le plaisir de vous manifester avant fin juin.
Ces bidons en étain de l’ère Showa servaient à entreposer le riz.
Machines pour le thé.
Puis vint la cuite. Monumentale. Rare. Précieuse. Durable. Trop.
Takeshi nous emmène à Shizuoka-ville. Sympathique bourgade… c’est agréable, pas prétentieux. Il habite à 4 minutes à pieds du travail, ce qui me fait carrément rêver, alors que je perds un temps et un argent de fou dans les transports tokyoïtes.
Vinos Yamazaki est une entreprise locale, un importateur de pinard surcôté qui possède des branches dans les grandes villes du pays. On va vers la maison mère, 2 entrées presque côtes à côtes : l’une, le magasin, propose une sélection de 10 bouteilles du moment, qu’on retrouve dans le bar d’à côté, qui fait aussi magasin de fromage. 40 minutes, 2 bouteilles, une pizza (pâte « foutage de gueule » : surgelée, plate, grasse), un assortiment de fromages, 9000yens. De bons produits, surtaxés comme il se doit, descendus trop vite. Déjà fatigués, on file vers une gargote où les sièges ont été réservés : monsieur a ses habitudes.
Les nihonshus se succèdent, tous excellents, et s’il boit du thé oolong coupé à l’alcool de patate lui-même, Takeshi n’oublie pas de nous resservir, surtout moi qui bois si vite pour faire passer la bouffe que je n’apprécie pas plus que ça (« Du poulet cru ? j’en RÊ-VAIS ! »).
Se lever, aller aux toilettes, remarquer qu’on ne tient plus qu’à peine debout. Partir vers un autre bar. L’odeur d’alcool déclenche le réflexe de défense du corps, qui reconnait l’empoisonnement et ouvre les sorties de secours. Un coup en bas, un coup en haut. Et de deux. Et de trois, etc. J’enchaîne le reste de la soirée entre promenades jusqu’au konbini (120 mètres, 8 minutes) pour acheter de l’ukon (plâtres buvables à base de curcuma) aussitôt vomi, des cigarettes que je n’arrive pas à fumer autrement qu’assis dans la rue, en pensant à Jud, pour le coup (des peace, forcément), avant que notre hôte ne me tape la discute pour s’assurer que je reste de ce monde. Vieille honte, sentiment inhabituel d’avoir perdu le contrôle, très justifié, anodin dans ce pays spécialisé dans l’ébriété publique à 21:35. Muuuuurge Exprèèèèèèèssss !!! Les drames de la vieillesse.
Après avoir couru prendre le dernier train, on se réveille au terminal, trois stations après la nôtre, ce qui en langage rural fait 25 kilomètres. Appeler la petite sœur, la réveiller, dormir sur un banc, la voir arriver en pyjama, s’excuser. C’est pas la gloire.
Le reste de la Golden Week est donc plus détendu, parce que je suis à deux de tension.
Dimanche, une amie nous rejoint et je lui caresse nonchalamment les fesses pendant qu’elle lit un livre sur « les jambons du monde entier » (éditions Atlas, 2007), sur quoi elle décide de mettre sa tête sur mes genoux et de jouer avec mon frein, parce que tout ça va décidément trop vite. C’est ce que dit mon cortex, alors que je me réveille transpirant l’alcool sur le tapis du salon.
À Shimada, il y a un pont. Il y a tant de sortes de ponts… certains, forts bien suspendus, câbles bandés grincent quand on s’y accroche, d’autres, durs et enflés en leur centre, pour faciliter la circulation, des petits, richement décorés de veines art nouveau, à la tête enflée et brillante, sur laquelle le visiteur pose une main experte pour en apprécier la courbe et le poli, des ponts courts dont on ne fait qu’une bouchée, ceux qui s’enjambent avec respect et appréhension, des ponts qui branlent au-dessus du vide, des ponts qu’on agrippe avec vigueur, pour ne les lâcher que quand, soulagé, vous avez atteint la berge du ravin, des ponts percés, qu’on traverse pourtant, espérant que ça tienne, comme le Prince Albert ou une moule accrochée au rocher.
Shimada, c’est le style long et fin. On le traverse à pied, nus de préférence. Le plaisir d’avoir la plante posée sur les poutres de bois poli par les passages est formidable.
De l’autre côté, c’est la promenade digestive qui s’annonce, entre les fleurs, les frelons géants, les arbres, les ridicules statues de tanuki, histoire de ruiner un peu la beauté de la forêt.
On débouche sur les champs de théiers, serrés, désormais taillés rectangulaires. Dommage, les formes rondes de jadis, d’avant les machines, c’est tellement joli.
Partout des ventilateurs, qu’on utilisera pour chasser l’humidité pendant la saison chaude. Shizuoka, un des plus gros consommateurs d’électricité du Japon.
Lundi de pluie, lundi dedans, couché sur le tapis… putain de pays où on vit par terre : on voit bien que vous ne faites pas 1,80 m, hein ? Moi couché dans le salon, avec mes 90 kilos, c’est la sardine qui bouche le vieux port, fatche de cong.
Au final, 4 jours au vert, dont 2 à décuver ou presque. Comment ruiner son peu de temps libre ? L’alcool, toujours une bonne solution.