Étiquettes
baguette OHOHOH, boulanger du dimanche, ferment, fermentation, jacob, Japon, koji, levain, levure, miches passion, yaphet
miches-passion.com
Un titre élégant et un article bien vulgaire. Beware.
La fermentation est quelque chose que je ne maîtrise pas, comme ma mère ne la maîtrisait pas non plus. Son pain ressemblait plus à une brique tombée d’un mur de Charleroi qu’à un truc léger dans lequel tu as envie de te rouler et de faire des enfants après des préliminaires au Nutella.
D’où mon intérêt pour elle (=la fermentation. Ma mère, Freud et Noël s’en occupent), comme pour ce qui touche au ni cuit ni cru, ni végétal ni animal : champignons, levures, bactéries, mycoses vaginales, etc.
Cherchez l’intrus.
Le pain est cher, au Japon, autant qualitativement que dans l’absolu. C’est clair que ce n’est pas un gros producteur de blé, comparé à la France, et que si le Japonais moyen se met une quenelle dans l’œil lorsqu’il affirme que c’est parce qu’il n’en consomme pas, il n’en demeure que ce n’est pas la spécialité nationale.
Faudrait-il que je m’explique, que je dirais que les udon, soba, ramen, somen, okonomiyaki, takoyaki, gyoza et tempura (parmi d’autres) contiennent tous de la farine de froment, et que c’est presque l’alimentation quotidienne du Japonais. Oui, je vous vois venir avec vos sabots de charançons staliniens : ils mangent aussi du riz, mais ça, ils en ont conscience. Et des pommes de terre. Dans le même repas, forcément aussi équilibré que le cerveau de Mel Gibson (qui savait que se déboîter l’épaule à répétition menait à l’antisémitisme ? Hein ? Répondez à ça, les scientifiques !).
Le blé est caché dans tout (comme le Juif et le Franc-Maçon… euh… non) — comme en France, d’ailleurs : vous rirez en trouvant des « sirops de blé » dans vos sucreries sans farine —, personne ne sait ce qu’est le gluten, et de toute façon, tout le monde s’en bat les couilles, ça doit être un truc d’étrangers, comme le sida, comme vouloir mettre la main devant la bouche pour bailler, ou rentrer à la maison tôt pour voir sa flemme ( « nan mais tu te rends compte ?! Ta femme !!! Lololololol !! »).
Une série de pain en étoile, comme ton anus.
Revenons à nos bactéries : c’est une des spécialités nationales. Suffit de voir tous ces gens qui se grattent dans le métro, les neiges-du-crâne, les porteurs de crocs et chaussettes, et autres déflocages et désquamages intempestifs pour comprends que le Japon mène une course à la colonie avec le Shinbeth. Il y a plus de colonies dans un club de kendo que dans tout Jérusalem-Est, c’est un scandale.
Jambon de l’Ardèche kosher.
Dans la cuisine, vous objecterez à juste titre que les mœurs modernes (=la flemme monstrueuse, puisqu’aucun n’oserait parler réellement de confort) ont tué une grande partie de la culture bactérienne domestique nippone. Les villages, qui se construisaient vaguement autour des éleveurs de moisissures (=kojiya-san), voyaient leur alimentation pauvre en protéine dépendre en partie des produits fermentés : Nihonshu, miso, amazake, nukazuke, tsukemono, natto, sushi, autant de produits qui viennent de la fermentation.
Il existe bien sûr encore de petits éleveurs et vendeurs, comme celui que nous étions allés voir avant Noël 2013 pour faire notre miso. Si ceux-là disparaitront sans doute dans une génération ou deux maximum (à défaut de boom), les gros continueront à produire, parce que les produits font partie de la culture nationale, fondamentalement (vous connaissez beaucoup de recette sans saké-mirin-shoyu-miso ? Que du fermenté.)
Graines de lin « homegrown »
J’avais fait du kimchi pour la première fois, vers 2003. Étant donné que c’est presque la même recette que la choucroute, ce n’est pas l’eau du Rhin (autrement dit : la pisse) à boire. Arrivé au Japon, j’ai plutôt appris à faire ce que je ne savais pas acheter, faute d’argent ou de disponibilité : rillettes, cottage cheese, tarama, houmos, ce genre de babioles. Puis Fumiko, une élève, m’offrit du miso fait maison, et j’ai commencé à en faire aussi, puis du rakkyo, des umeboshi, du raifort, des achards, des betteraves lactofermentées… et du pain.
Débordements de joie…
Le pain, c’est (au présent) ma terreur : un processus que j’ai peur de foirer comme déjà tant de fois. Un truc absolument aléatoire, du premier levain à la miche finale. Tant de recettes suivies à la lettre, tant de foirages. Se réveiller à 4 h 30 pour donner deux tours ou dégazer, et avoir un pain immangeable quand même. Petit à petit, comprendre que la farine n’est pas la même, que la chaleur tournante du four ne peut pas être désactivée, que l’humidité de l’air fausse tout, que le cul de poule en inox ne donne pas le même pâton que celui en plastique, qu’au-dessus d’un certain poids, mes levains successifs (au seigle, au sarrasin, à l’épeautre, à la farine blanche de merde) n’étaient pas assez puissants pour faire lever des trucs de plus de 600 gr, que dès que tu ouvres le four il perd 20 °C, que 250 °C c’est sa limite « théorique » (230 °C en pratique)…
Tant de ratés…
Quelques compromis pour ne pas perdre espoir, de temps en temps…
Petits pains allemands, aux graines de lin et au seigle, à la coriandre, pognes de Romans, etc.… à la levure SAF. Because fuck you.
Joie du petit déjeuner.
Le levain, ce truc vivant, il faut lui donner un nom. Mon premier s’appellera Jacob, du nom de feu mon oncle, pas le dernier des têtus sous sa coupe au bol de garçon milieu de classe devenu adulte barbu, à un moment ou les hipsters n’existaient pas. Un jeu de mots, aussi, sur le mot , levain, prononcé Kobo… fallait décider : (« Va pour Kobo ! » -> « Jakobo ! »).
Les levains sont censés ressusciter toujours plus forts, revenant des flammes de l’enfer comme Ikki dès que le boulanger shoune, mais bon… Jacob a dépéri petit à petit, comme son géniteur patronymique.
Vieilles croutes.
L’actuel s’appelle Yaphet, du nom du frère de Jacob. Yaphet, l’oncle anabaptiste du Canada, rustique, d’humeur doucement acide. Yaphet Kobo, qui joue parfois le méchant, parfois le gentil, mais toujours avec une certaine classe.
Et crie parfois aussi.