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alcoolisme ordinaire, néo vigneron hispter à barbe et chemise à carreaux, picrate, pif, pinard, vigne, vin, vin nature
Va falloir passer le cap, souillon, et publier cet article.
(Ce post ravira les buveurs d’étiquettes en tous genres, les envieux, les intégristes, les vieux-cons-férus-de-leur-propre-bon-sens, les peignes-culs et les autres. Les bouteilles ici photographiées ont été bues ces 2 dernières années, parmi vaguement 300 autres, et constituent mon alcoolisme ordinaire. Ce sont juste des quilles enquillées avec plaisir, mais il y en a eu d’autres, et c’est pas près de s’arrêter).
Faudra pas mal le vivre si c’est votre métier, mais je vais parler un peu de vin.
Oui, je n’y connais rien ou presque.
Non, je n’ai aucune légitimité à le faire sérieusement.
Non, je n’ai ni formation d’œnologue (et arrêtez de prononcer ce mot comme des spécialistes de l’omelette, ça n’a aucun sens), ni famille dans la vigne depuis 3 générations, ni même une.
Comme tout repas au Charmes-Chambertin au Japon, mon histoire de vin commence par une bière.
Le beau-père est belge, et les cadeaux de la famille de passage aidant, je me suis jadis mieux débrouillé en blind test avec une Maredsous et une Chouffe qu’avec les Minervois et les Cahors qui traînaient. D’ailleurs, quand tu es ado, c’est pas bon, le vin rouge.
La bière non plus, d’accord, mais ça fait viril, alors tu fais un effort. Qui plus est, les bières dont je parle, c’était rare, ça sentait la fumée, le sucré candi, la couleur rayonnait sous la mousse blanche. Et puis les noms laissaient jouer l’imagination : entre deux pages d’un livre dont vous êtes le héros, imaginer les moines de l’Abbaye de Rochefort tournant leur triple au bâton magique, là, c’est raccord de la mort.
Sans surprise, je ne pouvais pas descendre une Orval, si blonde, si sèche et amère, sa bouteille aux formes glissantes alors que le jus se refusait à le faire.
Pour les vins, ça a commencé pareil : ce qui traîne, que tu n’aimes pas, que tu fais semblant d’aimer… ces vins que tu aimes vraiment, qui n’en sont pas (vins de noix, etc.). Puis, une lente éducation du palais, sans le vouloir vraiment.
Par gourmandise, en goûtant tous les raisins possibles, même les pires verjus picorés jusqu’à la chiasse sur les 3 kilomètres de chemin pour rentrer de l’école (oui, tu apprends vite à ne pas oublier tes kleenex, puis à sélectionner le raisin à vue). Et pas seulement le raisin : les prunes sauvages, les prunelles (épinettes) si âpres, les cynorhodons et leurs demi-gramme de chair si fondante, les aphyllantes de Montpellier au suc généreux, les fruits du cormier, blets, repérés au feuillage et mangés avant que le sanglier ne les dévore… le buis* mâché vaguement, son amertume démentielle coupant la soif…tous ces goûts.
*des histoires de vieux du village qui racontaient que ça rendit jadis fou le curé de je ne sais quel bled)
Je suis né dans le Gard, dans un village qui avait la réputation de faire de la piquette. Bien sûr, on sait qu’avant, dans les années 60, il y avait un bon gérant de cave coopérative, et qu’après les vendanges, un matin, tôt, très tôt, c’était soudain le ballet des camions-citernes qui commençait, prenant le moût et l’emportant vers Gigondas, où il deviendrait autre chose. L’époque était moins stricte sur les appellations, peut-être.
Hélas, quand je suis né, le rouge du village faisait surtout la joie du vinaigrier. Je n’ai jamais eu envie de participer à cette économie à la fierté contrariée par la qualité du produit fini. Mon premier souvenir de vendange, c’est suivre ma mère qui donnait un coup de main aux voisins, et le verre duralex rempli de sirop (une infamie pour moi, à l’époque), la main collante qui le tendait, l’odeur de sucre, de fer, de terre, de seau en plastique. Aucune envie de m’y mettre. Normal : j’avais 4 ans, je pense.
Plus tard, à Avignon, je suis étudiant, et j’ai besoin d’argent. Par relations, on me propose de faire les vendanges. Je ne bois pas, à cette époque ; depuis la terminale, je ne touche plus une goutte d’alcool, ni une clope, ni un joint. Ça durera encore quelques années, par la suite. Je ne sais donc toujours pas ce qu’est le vin, en somme.
Tout ce que je fais, c’est cueillir (ou ramasser, pour ces foutus Alphonse Lavalée qui traînent au sol) le raisin, en en mangeant un maximum, et en évitant le chien qui court vers toi après s’être roulé dans la merde (un bâtard n’avait jamais mieux porté son nom). Je recevrai un bon pour une vingtaine de bouteilles, que je ne récupérerai jamais, trop occupé ailleurs. Dommage… existent-elles encore ?
Après quelques autres années d’ascète, je m’initie aux Bordeaux, aux Côtes du Rhône, doucement, au pif. Je passe mes premières bouteilles à l’évier, en découvre d’autres que j’aime, surtout grâce aux amis et aux concours de circonstances.
Le vieux mais truculent monsieur Bruguier offre sa production à mon père, en 2003 (?). Il ne boit plus, mais par tradition, fait son vin. « Quand on a une vigne et qu’elle produit, il faut le faire, au moins par respect pour elle », dixit. Le paternel est, à cette époque, dans une phase avancée de « me cassez pas les fesses avec vos âneries », et il le coupe donc allègrement à la crème de cassis, voire à la gentiane. À la Romaine, disons, pour faire vaguement honorable. Tu me diras, ça aurait pu être du coca, de l’eau gazeuse, du pamplemousse… on est toujours l’Autrichien de quelqu’un, hein.
Moi, juste avant le règne de Sarko 1er « l’abstème », je m’exile au Japon, et j’y découvre que le vin est un produit précieux, et que se faire une éducation dans le domaine coûte cher. Bien sûr, les 5 premières années, j’étais trop fauché pour m’offrir des bouteilles régulières, raisonnables : j’ai donc appris à boire la pire merde disponible, puis à éviter 90 % des bouteilles en vente dans la grande distribution, pour cause de ventre en vrac, cerveau déshydraté et teint verdâtre.
J’ai aussi appris à mépriser ouvertement une majorité d’autochtones, le clan de ceux qui ouvrent un Puligny-Montrachet rouge 2008 (soit vieux de 2 ans) avec une paëlla aux fruits de mer, s’ouvrant une bière d’abord (« Le kanpaï, c’est à la bière, point »), voire une mousse de synthèse (cocktail au houblon, au cassis, aux agrumes, tout et n’importe quoi de sucré, du moment que ça te pourrit les papilles pour une bonne demi-heure), sans oublier de finir vite fait le Château Rondailh (je n’invente rien) glacé du frigo, parce qu’il faut le finir (une couche de tanins âpres sur le sucre du Shochu au yuzu, rien de mieux).
PLOP ! Le bouchon du Leroy saute. Direct dans le verre, température « à-côté-du-kotatsu », pas de carafe, jamais.
« Ah ben dis donc, c’est pas terrible pour un vin aussi cher. Il a mal voyagé ? Ou c’est d’un vigneron qui ne fait pas du boulot à la hauteur de sa réputation ? »
Ha.
Et pourtant, si des Japonais dont je tairai les noms sont d’une fatuité sans objet pour les rapports au pinard, le pays compte également parmi les passionnés des plus pointus. C’est un élève, M.Inoue, charmant archéologue-guitariste, qui va m’en parler sans doute le premier, en 2010 : du vin sans souffre, des gens qui utilisent des capsules couronnes (comme de la bière), des cuvées confidentielles, des noms inconnus.
Depuis, des autochtones ayant une connaissance poussée des pinards les plus obscurs, j’en ai rencontré un paquet. La force économique du pays fait que les amateurs n’ont souvent pas trop peur de dépenser une certaine somme pour des bouteilles d’exception, quelque soit le domaine (grands bourgognes, vins-natures de gamay d’Auvergne foulés au pied par les vierges de Glaine-Montaigut, etc.). Si la connaissance empirique et la passion des références est une obsession nationale parfois désagréable (être sommelier = savoir réciter les crus du Bordelais dans l’ordre et connaître par cœur les millésimes du Bourguignon, par clos et par négociants), il reste que cette exigence rend accessibles des vins assez improbables dans le pays, aussi lointain soit-il des zones de production.
Qui dit boutanches dit aussi camarades de picole. Comme pour les outres à désaltérer les chattes, j’ai la chance d’en avoir une paire, et cette émulation stimule bien sûr la soif de connaissances. Reste le budget, puisque boire vide bien aussi les bourses : enfin nanti d’un salaire convenable ou disons suffisant, je peux enfin me permettre de dépasser les 2500yens fatidiques. Je n’arrive pas à passer à plus de 6000yens, c’est un blocage psychologique de pauvreté mentale résiduelle, mais ça pourrait changer.
Maintenant que j’ai exposé ma situation d’alcoolique relativement anonyme, voyons en quoi ça concerne la suite des événements…
Jadis, donc, mon village gardois faisait du picrate. Les années 80 ont vu les vieux délaisser la vigne, et celles de mon hameau furent arrachées vers 1990. Une majorité de ceux qui continuent le font dans une tradition productiviste bien détestable : engrais, pesticides, fongicides, terre à nu.
Attention, contre toute attente, je ne suis un ayatollah de rien : mieux vaut traiter un coup que de perdre sa vigne, à mon avis. Un médicament est un curatif, et il se doit d’être adapté. Tu mets un cataplasme au chou sur une jambe cassée, toi ? Non. Par inversion, disons que mettre un plâtre à quelqu’un qui s’est cogné le genou à la commode, c’est pas ça non plus. Je suis pour une utilisation avisée des produits. Et si possible, ne pas en arriver à ce que cette utilisation soit nécessaire.
D’un autre côté, ce n’est pas parce qu’on utilise des produits phytosanitaires qu’on fait du pif de merde, hein ? Donc, mon village a continué à produire des vins, disons, buvables selon les canons contemporains. Ce n’est, en revanche pas ce que je veux faire.
Car c’est bien vers ça qu’on va, un jour : retourner au village, plus précisément au hameau, et y refaire du vin. Planter. Soigner. Pleurer de ses échecs. Apprendre à éviter les suivants. Regarder des vignes s’épanouissant sur l’argile calcaire, une terre enherbée, des rangs harmonieux.
Je pensais reprendre une des vignes du village : il n’en reste plus. Ou ce qui est cédable semble épuisé par des années de productivisme encouragé par les subventions. Je n’en veux pas. Il faudrait replanter. D’abord, les 6 ares que j’ai.
Ce que je sais est maigre : je voudrais complanter, comme les vignes que je parcourais jadis, panachées de différents cépages. Ça ne facilite pas vraiment la vendange, mais ça me semble logique. Je voudrais faire du vin blanc, surtout, et du rouge, un peu. Le rosé ne m’intéresse pas. Je veux planter de la Négrette : ce cépage de l’AOP Fronton n’entre pas dans les appellations de mon coin… pour lesquelles je n’ai pas grand intérêt de toute façon (Côteaux du Vivarais ? Fais.Moi.Rêver.).
Problème : d’après les renseignements recueillis jusqu’ici, il faudrait d’abord acheter une vigne à arracher pour pouvoir planter sur mon terrain. C’est con, mais ça semble un passage obligatoire. Combien ça va coûter, je ne sais pas. Ça ne m’enchante pas, mais je compte mener le projet à bien. Vos avis compétents sont les bienvenus.
Je n’ai plus l’âge de devenir agriculteur avec l’aide de l’État. Je ne vois pas comment les banques me prêteraient quoi que ce soit, vu qu’il ne s’agit pas d’en faire mon activité économique principale. Il est clair que je vais perdre systématiquement de l’argent pendant quelques années, alors j’entends bien : il faudra minimiser les investissements autant que possible. C’est une aventure risquée, mais j’ai encore un peu de temps pour m’y atteler.
Ce que je retiens surtout, pour le moment, où le projet ne s’amorce que dans ma tête, dans les connexions qui se font, dans les rencontres, dans les discussions, c’est — plus que les milliards de causes d’échec possible — l’excitation de ce qui va se passer : je vais apprendre quelque chose de nouveau.
Et ça, c’est mon plus grand plaisir.
(Cet article devrait vous pousser à devenir témoins de Jéhovah, tellement il est mielleux et mal renseigné).