
Je suis belle mais un peu triste.
Ce billet est long. Très. Trop. Alors si vous ne vous sentez pas de le lire correctement, faites une faveur à tout le monde, votre humble personne en premier : regardez juste les photos, et surtout, ne commentez pas. Ou alors pour troller. Ou corriger mes fautes.
Quelque chose me dit qu’il va me falloir une plombe pour rédiger ce billet, et que vous allez souffrir à le lire, mais je crois que ça fait aussi un bail qu’il me tourne autour, et que je n’y échapperai pas. L’occasion fait le larron, hélas, douze fois hélas. Il sera sous-documenté comme les autres, pleins d’approximations douteuses et probablement aussi pompeux/prétentieux que le reste.

Je suis Charlotte (sur Mixi)
Ce qui ne gêne généralement pas les 3 derniers fidèles lecteurs qui visitent ces pages en l’espoir de voir tomber un des deux billets bisannuels, mais… le sujet est un peu plus douloureux et problématique, vu les événements de ce début de mois de janvier 2015.
Pour le contexte, au cas où vous seriez le pire des ermites : les présents à la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo ont été assassinés par 2 imbéciles. Ce sont des a priori des faits. Non, je n’ai pas vu les corps, ne commencez pas, j’ai des choses à dire avant.
On est à chaud, donc je n’ai presque aucun recul sur ce qui se dit, se lit, se voit. Je sais que d’abord, il y a eu le choc, de cette nouvelle absurde. Qui est assez con pour faire ça ? Puis, le chagrin, puisque comme pour une grande majorité de Français de ma génération, de la précédente, de celle qui a suivi, Charlie Hebdo a fait partie de leur adolescence, y compris celle qui s’est prolongée jusqu’à des âges avancés, comme mon père, par exemple. L’irrévérence du journal faisait vibrer cette corde, fût-ce de manière fort inégale.

Certains, disons beaucoup, auront pleuré le point de non-retour, celui qui fait que leur Charlie (souvent celui de l’ère de Gaulle) ne reviendra jamais, malgré le talent certain de certains et le certain talent de certains autres, c’est certain. Le Charlie d’aujourd’hui n’enthousiasmait que par intermittence, les finances du journal en témoignent. On l’achetait plus occasionnellement que d’habitude, et certaines pages provoquaient plus le sourire gêné que la gaudriole. Pour ma part, j’ai décroché petit à petit, avec ce que je pense être l’emprise apparemment de plus en plus autoritaire de Val (ses éditos m’ont toujours désolé), et l’augmentation d’enquêtes de qualités plus ou moins acceptables. Étant ou ayant été abonné au Monde Diplomatique, au Canard Enchaîné et à Médiapart (et aux 4 saisons du jardinage bio, OK.), j’ai une certaine idée de ce qu’est le journalisme de qualité, et n’apprécie que vaguement les approximations… Je ne suis pas le seul, et si je ne saurais dire vraiment ce qui me déplaisait, d’autres ont des arguments convaincants. Ce ne sont pas les miens, mais vous aurez le loisir de les lire, ne serait-ce que parce que c’est bien écrit.
http://www.article11.info/?Charlie-Hebdo-pas-raciste-Si-vous
ainsi que sa mise au point : http://www.article11.info/?Aux-fossoyeurs-de-tous-bords

Je suis gras bonne
Oui, pour le journalisme en soi, je préfère lire autre chose. Pour moi, c’est avant tout un rapport au dessin qui en a pris un coup. Je suis vraiment difficile pour le dessin de presse, et les plantutides, pardon, platitudes du Monde me donnent envie de lapider Thomas Vidberg à coup de patates. Je trouve cette soupe tiède autrement plus indigeste que le mauvais goût assumé de Charlie. Luz, Honoré, Cabu sont des gens dont le travail m’a fait rire profondément, souvent. Parfois pas, mais c’est mieux que jamais. Ça valait le coup d’essayer, alors ça valait quelques ratés aussi.

Je suis verte, il est stupéfait. Nous sommes Stupéflip.
Luz n’est pas du convoi funèbre. J’ai poussé un ouf de soulagement, honnête. Ni Vuillemin, ni Tardi, ni Pétillon : le paysage national des dessinateurs de presse n’est pas décimé non plus. C’est égoïste, comme point de vue, mais c’est ce qui explique la douleur de la nouvelle, en premier lieu : ces gens qui t’on fait rire régulièrement depuis si longtemps, on les a tués. Ils ne te feront plus rire. Cette complicité du rire de presse, ce rire qui dédramatise les horreurs, les rend supportables sans qu’elles en soient acceptables, il fait partie de mon histoire affective personnelle, et sans doute de la vôtre aussi, pour certains. Pour d’autres, Cabu dessinant (des trucs assez consensuels) dans le Club Dorothée, ça suffira comme souvenir. Mais pourquoi pas ? C’est autant la perte du talent, que du meurtre de notre histoire de rires en commun, que la mayonnaise des réactions émotionnelles collectives qui fait naître ne nous cette tristesse. Il n’y pas forcément besoin de causes uniques, voire de causes justes, pour être attristé. L’empathie est une réaction légitime. Vous traiterez les gens de faux-culs autant que vous voulez, ils n’y gagneront que de la colère contre votre déni de leur souffrance, fût-elle éphémère.
Tiens, lisez ça, en passant : http://unodieuxconnard.com/2015/01/13/before-it-was-cool/

Je suis Lionel Dersot.
C’est là que je voulais en venir : les réactions. Vos réactions, ou plutôt celle des gens que j’observe, que je côtoie, avec lesquels j’entretiens un rapport, et les autres, dont la parole est relayée par le truchement des internets. La bruyante opinion de tous, inévitable, omniprésente, qui aurait pu être personnelle, mais à qui les connexions ont offert un public parfois superflu, souvent superflu. Comme ce billet de blog, qui devient à son tour un paquet de tracts mentaux balancé dans un réseau qui en est saturé. Un billet dispensable comme vos statuts Facebook, vos tweets et retweets, vos updates de blogs dans l’urgence…
Allez, pause lecture : http://www.streetpress.com/sujet/1420713927-attentat-charlie-hebdo-edito

Je suis un pain de sucre
J’en suis là aussi, parce que moi aussi, je suis égoïste et narcissique, que j’ai juste envie de dire ce que je pense, de traduire ce que je sens, si possible un peu aux dépens des autres qui le font moins bien, qui sont contre, qui sont des suiveurs, des hypocrites, des tièdes, des moisis, des arrivistes, et avec un vague espoir inavoué que ma souffrance si brillamment exposée, par la force de ma plume si agile, me fasse briller au-delà de ma pauvre zone de diffusion habituelle. En gros, je suis français.
Et de gauche.

Je suis de gauche moi aussi, mais je m’aliène au service du patronariat pour mieux le noyauter et préparer le matin du grand soir.
Comment ça, on s’en fout ? Nous sommes le 13 janvier : le grand rassemblement, l’union républicaine, la France indivisible réaffirmée, c’était avant-hier. La France (oui, disons que 4 millions de personnes dans les rues, ça me semble pas mal. Comme conclusion, c’est toujours moins hâtif qu’un sondage du Figaro). Aujourd’hui, place à ce que nous sentons vraiment.
Tout le monde n’a pas eu la décence d’attendre. D’ailleurs, tout le monde n’en ressent pas le besoin. Moi non plus : bien que soucieux de ne pas colporter n’importe quoi, ou de ne pas réagir sous le coup de sang, j’ai fait comme beaucoup : partager l’image > sauvegarder sous > changer photo de profil… Regarder tout le monde en faire autant, y compris des gens que je ne peux pas voir en peinture, idéologiquement. Lire l’interview de Luz, d’une justesse soulageante. Rechanger l’image de profil, etc.
Si vous n’aviez qu’un truc à lire: http://www.lesinrocks.com/2015/01/10/actualite/luz-tout-le-monde-nous-regarde-est-devenu-des-symboles-11545315/


D’autres ont eu encore moins de retenue (encore un gros mot, castrateur, punitif), mais c’était aussi une sorte de lucidité politique : Marine Le Pen a immédiatement pissé sur les cadavres en demandant à titre personnel le retour de la peine de mort. Aussi désolant que ce soit pour moi, elle anticipait — par ce raccourci illustrant la simplicité déconcertante de la manipulation politique à l’adresse des simples d’esprit — la manœuvre de la masse, qui voulaient crier vengeance d’abord, puis crier victoire, et enfin crier répression.

Nous sommes Charlie et nous allons voter des lois liberticides, parce que. Avec 20 ans de crédit restant, vous feriez pareil, jeunes cons.
Les cris de liberté du 11 ne trouvent d’échos que dans ceux réclamant plus de surveillance, plus de contrôles, plus de cadre répressif lourd et inutile : un patriot act à la française, sur fond d’un mélange confus de racisme et d’islamophobie. On va faire exactement ce qu’on reprochait à Charlie Hebdo : tous les Arabes sont potentiellement musulmans, tous les musulmans sont potentiellement talibans ou daesh-ites (j’aime la sonorité que ça prend). Seulement voilà, une caricature, c’est un dessin pour se moquer, alors qu’une idéologie prolongée par un arsenal juridique, ce sont des morts. Des morts, il y en a déjà eu 12 dans une rédaction, parce que certains ne comprennent pas ce que ça veut dire. Alors, prolonger leur raisonnement, ça me paraît tellement déplacé…
Lisez néanmoins ça : http://www.arretsurimages.net/articles/2015-01-08/Je-ne-suis-pas-Charlie-Et-croyez-moi-je-suis-aussi-triste-que-vous-id7366

Nous sommes les triplés, et nous sommes l’insolence de bon goût, hein les filles ?
Bref, on va vers plus ou moins tout ce que conchiait chaque semaine Charlie, toutes époques confondues. On a déjà eu droit à une sacrée dose de n’importe quoi, les cloches de Notre-Dame qui sonnent, Wall Street est Charlie, le FN qui veut participer à la marche, des tyrans invités, Netanyahou et Sarkozy qui s’incrustent, le panthéon évoqué, etc. C’est la grande gaudriole.
« Cet unanimisme est utile à Hollande pour ressouder la nation. Il est utile à Marine Le Pen pour demander la peine de mort. Le symbolisme au sens large, tout le monde peut en faire n’importe quoi. Même Poutine pourrait être d’accord avec une colombe de la paix. Or, précisément, les dessins de Charlie, tu ne pouvais pas en faire n’importe quoi. Quand on se moque avec précision des obscurantismes, quand on ridiculise des attitudes politiques, on n’est pas dans le symbole. »
Finalement, c’est ce qui compte : le 11, les Français défilaient. Luz voit juste, à mon avis, quand il dit simplement qu’ Hollande a besoin d’un grand rassemblement d’union nationale. Je trouve ses mots très bien choisis. La suite est mon exégèse personnelle. Si vous étiez déjà fatigué, c’est le moment d’arrêter de lire.

Je suis Charlie Manson et je note vos noms.
Les mots de Luz s’inscrivent, de mon avis formé par les études (historien-géographe…), dans une série de courants de pensée historique assez typique (caricaturale, diront d’aucuns) pour l’approche française du sens de l’Histoire.
Cet intitulé de base vous aura donné un indice : ce qui suit ne s’inscrit pas dans une vision kantienne/néo-kantienne de l’Histoire ; l’idée que l’histoire soit un enchaînement de hasards, quoique je ne la rejette pas entièrement, je n’y souscris pas entièrement non plus, et ce n’est pas l’objet de la démonstration.


Tout d’abord, considérons le matérialisme historique (version un peu désabusée, pour ma part) :
« Le matérialisme historique, ou conception matérialiste de l’Histoire, est une méthode marxiste d’analyse de l’histoire, dans une optique matérialiste. Elle induit l’idée, présente dans les écrits de Karl Marx et Friedrich Engels, que les événements historiques sont influencés par les rapports sociaux, en particulier les rapports entre classes sociales, donc par la situation réellement vécue par les êtres humains. » (http://fr.wikipedia.org/wiki/Matérialisme_historique)
L’Histoire est une construction. Hegel voyait dans l’histoire une construction linéaire, temporelle, et Marx va la reprendre (et rompre avec, bien sûr) : l’histoire à un but et une fin. Si le propos de base semble lointain dans notre histoire de trous de balle tirant sur des tailleurs de crayon, il reste que l’Histoire en tant qu’entité temporelle à sens déterminé est construite par ses acteurs. Sauvegardez cette image pour plus tard, sur votre disque Iomega Zip de 250mo.

Je suis un garage à bites.
L’école des annales, c’est notre deuxième élément de courant historique.
« L’histoire doit devenir une “histoire-problème”, qui questionne le passé et remet constamment en question ses propres postulats et méthodes, afin de ne pas être en reste sur les autres sciences et sur l’histoire du monde. Cette obligation implique de sortir l’histoire de son “immobilisme académique” en diversifiant et surtout en croisant ses sources, au-delà des seules références écrites traditionnelles. Il s’agit de s’ouvrir aux autres sciences humaines, de les combiner entre elles afin de pouvoir stimuler la curiosité de l’historien. Pour citer Marc Bloch, l’autre fondateur : “Le bon historien ressemble à l’ogre de la légende. Là où il flaire la chair humaine, il sait que là est son gibier”. »
(http://fr.wikipedia.org/wiki/École_des_Annales)
L’histoire se construit autour de phénomènes sociaux et humains, dont les traces, parfois visibles, parfois moins, méritent examen. Si ces traces existent, elles ne sont pas forcément évidentes ou enseignées, puisque l’histoire événementielle est bien souvent celle du groupe dominant, qui rejette ce qui ne l’arrange pas dans les périphéries, voire dans la zone de non-droit de la mémoire collective.

Je suis un merlan. Rejetez-moi à la mer, soiouplait, je n’ai pas aquarium, je n’ai pas paillettes…
Osons un hasardeux glissement, CMB DTC, comme si l’histoire marxiste avait pénétré l’école des annales pour en dénoncer les juifs : « L’histoire est écrite par les vainqueurs ». C’est Robert Brassilach, très très loin d’être un coco, qui l’a énoncé en ces termes si purs, lui dont les mots claquent aussi fort que ses idées, d’une puanteur qui rend le maroilles oublié dans le coffre de la voiture un jour de juillet digne de figurer dans une collection de Guerlain (je choisis cette maison par hasard, hein ?).

Je suis so fly je could touch le sky, ouais.
Sauvegardez ça aussi. Troisième courant : la Nouvelle Histoire.
« La Nouvelle Histoire est avant tout l’“histoire des mentalités” : il s’agit d’établir une histoire sérielle des mentalités, c’est-à-dire des représentations collectives et des structures mentales des sociétés. En fonction de la question posée, l’historien-analyste s’efforce de proposer une interprétation rationnelle des données que lui a* fournies son corpus de recherche. »
* « ont », d’après Wikipedia. Vous jugerez.
Pas juste de l’événement, pas seulement de la construction basée sur la foi envers le progrès et ses phases déprimantes (âge d’or, déclin, croissance, ad lib.), pas que de grands ensembles, mais aussi le sentiment de vivre l’Histoire, de s’y situer, et comment cet ensemble s’exprime. Voilà aussi un objet d’étude, encore fort vivant aujourd’hui.

Je suis Charlie, si vous voulez, mais je préfèrerais être dessinée à genoux par Wolinski.
Partons de là et reprenez vos deux sauvegardes.
Il y a les actions-réactions-rejets, etc. Des phénomènes psychologiques connus. Je vous renvoie aux stades du deuil dans ce billet précédent, et au dessin d’Odieux Connard en lien, plus haut. On peut considérer que les mouvements de révolte, de déni, ou simplement de troll sont inhérents à chaque événement plus ou moins violent. Mais parlons plutôt des trolls plus argumentés.
Avant même le deuxième jour après la tuerie, les théories du complot apparaissaient. Des éléments troublants, il y en a toujours. Des possibilités de manipulation, de coup monté, de complots, truanderies, barbouseries, Charlespasquateries, françafriqueries, l’Histoire en est jalonnée. C’est le travail de recherche des Nouveaux Historiens, qui malaxent généralement sur la matière morte ou en train de le devenir ; je dis ça en tant qu’ex-étudiant se spécialisant sur l’histoire immédiate, celle des acteurs vivants, mais plus pour longtemps. C’est pourquoi j’utilise le terme matière et non acteurs. Les acteurs sont vivants, les faits sont morts : c’est ce qu’étudie l’histoire de la mémoire, qui s’inscrit en parallèle celle — sociale — des mentalités.

Je suis Charlie et le haricot magique, et ce con est est train de pousser dans mon nez.
De la jonction des deux naît ce que l’imaginaire collectif représente. L’Histoire fantasmée en fait partie, et c’est cette partie qui apparaît comme palpable, vivace, dans notre cas de figure.
C’est une partie de l’histoire que quiconque a une ambition politique quelconque se doit d’exploiter : c’est un puissant outil de maniement des masses, et notre instinct grégaire s’y prête parfaitement. Nous cherchons tous à entrer dans des cercles fermés, des sociétés, des clans. Vestimentairement, virtuellement, religieusement, de manière évidente. Intellectuellement, être exclu de certains clans les fait apparaître comme dominants et suscite autant de réactions de créations de contre-clans que de contre-attaques. En gros : tu rêves en fait d’entrer dans une loge maçonnique, mais tu ne peux pas alors tu postules au Rotary club, en te foutant des nazes qui ne sont qu’au Lion’ s Club, pendant que ton pote vous crache tous à la gueule avec son cercle de Dieudonistes sur Facebook, qui fait rire les chauves de la Croix-Rousse.

Je suis l’aliceleste, mais là, j’ai sommeil.
Or, ce niveau « tinfoil-hat », celui qui se nourrit du fantasme du caché, celui qui présente la connaissance du secret, des secrets, des rouages de qui connaît les secrets, de comment les secrets sont faits, comment et pourquoi les secrets sont partout, etc., ce niveau-là intéresse l’historien. J’ai personnellement envie de savoir comment à partir de l’Histoire en train de s’écrire dans les grandes dynamiques humaines (sauvegarde 1 et 2), l’humain lambda cherche à en comprendre les coulisses alors qu’il n’arrive déjà pas avoir ce qui se passe sous ses yeux. J’admire sa pugnacité à construire des théories à ne partir de presque rien, par des raisonnements par l’absurde, comme un jour de mauvaise foi intense parce que tu as un bouton sur le front et que ta balance affiche +3 kg.
« Oh, tu es bien jolie aujourd’hui, ma chérie »
– AH OUAIS ? Et les autres jours, j’ai l’air d’une merde, c’est ça ? C’est pour ça que tu regardes toujours les putes toutes minces ?! »
Amis complotistes, sachez-le, aussi juste que puisse être votre cause, quelle que soit la qualité de l’argumentation, la forme du discours vous disqualifie dans 99 % des cas. C’est d’une tristesse…*




*ça me rappelle VinoBusiness, un documentaire d’une rare partialité, ruinant d’un coup des sujets fondamentaux, qui devaient être connus (pesticides, « fabrication » des vins, galère des petits paysans, etc.) à grand coup de manichéisme, commentaires débilitants, raccourcis volontaires. Un gâchis.

Je suis entre tradition et clitoridienité. Et alors ?
Que l’on considère la production de l’Histoire comme un phénomène de mémoire ou comme un phénomène écrit, rédigé, dans les deux cas, les théories complotistes modernes sont imbitables parce qu’écrites avec les pieds et contées avec une fausse modestie qui transparaît immédiatement parce qu’inhérente au projet : le but des théories « on nous cache tout », c’est de se mettre en avant comme celui qui sait. C’est juste l’orgueil en spectacle, comme tout le monde, mais en plus inscrit dans une tradition historique que vous ignorez, mais dont la rigueur vous fait défaut. Tout ceci est peu décevant, quand on fait son beurre sur le fait d’être une alternative tonitruante à la vérité officielle.

Je suis atterré.
C’est vrai que je ne m’intéresse pas vraiment au fond de vos histoires de wannabe francs-maçons du café du commerce. Pourtant, je m’intéresse à ce qui vous amène à penser, à chercher, à étaler votre fierté de l’information acquise par vous seul et vos amis qui se défendent d’être politisés. Je m’intéresse à votre curiosité pour ce qui n’est pas vu, votre détresse à ne pas comprendre ce que vous voyez et à chercher des explications ailleurs, qui correspondent plus à votre sensibilité. De ce point de vue, je vous estime et je vous plains un peu, aussi, vous les ogres dont l’appétit ne touche que l’ombre.

Je suis dans l’ombre. Vous parliez de moi ?
Bref. Je ne milite pas pour que tous gobent tout et n’importe quoi, mais pour que vous arrêtiez de vous ridiculiser, et de me les casser sur les réseaux sociaux avec vos clins d’œil en guise de preuves tangibles. « Non, mais c’est trop gros, hein, on s’est compris » n’est pas une forme scientifique recevable, quoique votre manière de penser soit le produit d’une construction historiologique dominante, celle qu’on enseigne.


Synthèse, conclusion. Fusion des 3 sauvegardes.
Si l’histoire s’enseigne toujours aussi mal, autour d’événements (1515, 1789, etc.) c’est parce que ceux qui les écrivent entendent présenter ces événements comme une construction (nationale, sociale, politique, symbolique, collective), un jalon du (bon) sens de l’histoire en marche, comme la réalisation d’un courant, de phénomènes sociaux, que les Hommes ont produits, et comme symboles des représentations dominantes. Cela n’empêche pas la pluralité des points de vue, évidemment, ni les révisions de ces points de vue. La chute du mur de Berlin peut se voir sous plein d’angles différents : vous les chercherez vous-même, je ne vais pas écrire une thèse non plus.

Je suis myope et j’ai des fausses lunettes.
Le 11 janvier de la phrase de Luz, on peut la superposer à cette optique : l’acteur est vivant, mais la mémoire porte sur un objet, disons, mi-mort (vous excuserez…). L’acteur prend acte des constructions de mémoire qui sont en train de s’opérer, et qui lui échappent presque totalement. Il voit s’opérer une construction historique : ressouder la nation — et la suite le montre, redonner une certaine image de la France, ce que, même si on n’a que peu d’occasions d’encenser un président, en France, il aura très bien géré. On remarque que le dessinateur ne va pas s’opposer au projet, fut-il résolument à côté de la plaque concertant la mémoire que lui-même — acteur et objet, en parallèle — a de ce qui est le déclencheur (le meurtre d’une rédaction de journal).

Je suis Charles Ingalls, mais là, je vais à un mariage, alors voilà, pas de chemises à carreaux, hein ?
En bref : il se résout à accepter la domination de la construction historique, tout en refusant de laisser totalement s’échapper l’objet (en faisant partie), et se prépare tant bien que mal à en assumer la subsistance dans le tsunami de récupérations qui s’approche. Merci Luz. Je vous aime.
Vous croyez que j’ai fumé la moquette ? Vous avez tort : j’ai bu. Je ne saurais écrire sobre. Je vous emmerde.

Je suis dans mon monde.
NB : toutes les personnes prises en photo ici sont mes amis et connaissances personnelles. Vous n’insinuez rien et vous allez boire une bière fraiche au lieu de réfléchir trop pour rien.